Afghanistan : comment le hijab et le niqab ont pris le relais de la burqa

Conscients de la mauvaise image véhiculée par la burqa à l’étranger, les talibans préconisent désormais le hijab et le niqab pour toutes les femmes dans l’espace public. Une autre façon de les « effacer ».   

Il est un homme dont l’arrivée au pouvoir des talibans fait les affaires. Son tiroir-caisse chantonne au premier étage de la galerie marchande Rezai, dans le centre de Kaboul. Un mois avant la reconquête de la ville par les nouveaux maîtres du pays, Rami, 36 ans, gérant d’un magasin de prêt-à-porter féminin, a eu la bonne idée de commander à son fournisseur des hijabs. Ce terme générique est dérivé du verbe arabe « hajaba », qui signifie « cacher ». Il désigne la tenue qui couvre le corps des femmes et qui occulte les cheveux, les oreilles et le cou pour ne laisser apparaître que l’ovale du visage.

Confectionnées à Dasht-e-Barchi, à l’ouest de la capitale, ces longues robes sombres lui sont parvenues pile au bon moment, une semaine avant le départ des Américains. Rami exhibe fièrement les sept modèles en polyester qu’il propose : finition des manches en dentelle, cordon tressé en guise de ceinture, strass incrustés dans le tissu… C’est la première fois de sa vie qu’il vend de telles pièces. Auparavant, ses rayons étaient essentiellement garnis de chemises chatoyantes, de pantalons et même de minijupes. « En deux semaines, j’en ai écoulé plus de cinquante ! » se félicite-t-il. À tel point qu’il vient de repasser une commande du modèle plébiscité par ses clientes : une robe à volants, moins austère que la tunique traditionnelle, disponible en bleu ciel, écru ou noir. Dans la boutique, Rozina, 15 ans, et sa mère s’arrêtent devant la tenue en question vendue 2 000 afghanis (environ 20 euros). C’est la deuxième qu’elles s’apprêtent à acheter pour l’adolescente, en trois semaines. « Je déteste ça, mais on n’a pas le choix. Si je veux sortir dans la rue, il n’y a pas d’autre option », rouspète celle qui portait jusqu’alors un simple voile pour dissimuler ses cheveux. Rami hausse les épaules, esquisse un petit sourire. Le malheur des unes…

UN SYMBOLE D’OPPRESSION

Rares sont les femmes à circuler dans ce petit mall où la majorité des échoppes affiche porte close. Elles déambulent, pressées, ombres furtives sous les néons blafards. L’ambiance est lugubre, loin de l’agitation qui régnait en ces lieux il y a quelques semaines encore. La plupart sont à la recherche de vêtements… « appropriés ». Non plus une burqa, mais un hijab. Ainsi en va-t-il du dress code féminin dans le nouvel Émirat islamique d’Afghanistan, qui se fonde sur une interprétation rigoriste du Coran pour imposer le port du voile intégral, ou « tchadri » en dari. Dès la prise de Kaboul, le 15 août, les talibans ont édicté des règles strictes. « Il y a différents hijabs qui ne sont pas limités à la burqa », a précisé Suhail Shaheen, leur porte-parole, à la chaîne britannique Sky News. Les femmes doivent désormais revêtir ce tissu couvrant quasiment l’intégralité de leur corps, doublé idéalement d’un niqab, une étoffe qui masque le visage à l’exception du regard. Car contrairement à leurs prédécesseurs, au pouvoir entre 1996 et 2001, les « néo »-talibans ne préconisent plus explicitement la burqa, même si le vêtement traditionnel des tribus pachtounes reste largement porté dans les zones rurales du pays. Symbole de l’oppression infligée aux femmes, la burqa, cette « cage » bleue ou marron, grillagée sur les yeux, imposée dans les années 1990 par les fanatiques islamistes, a rarement dépassé les frontières afghano-pakistanaises. Ce voile intégral ne vise pas uniquement à protéger les femmes mais plutôt à éviter la tentation des hommes. Surtout, il matérialise la nécessité de l’effacement du corps féminin. Conscients de la mauvaise image qu’il cristallise, les nouveaux talibans ont décidé de concentrer leurs recommandations vestimentaires sur le hijab et le niqab. Ce dernier, prédominant en Arabie saoudite, s’est répandu sous l’influence de l’islam wahhabite. Une façon plus « acceptable », pensent-ils, de couvrir les femmes. Et un signe de la volonté de changer d’ère par rapport à leurs prédécesseurs.

DES FEMMES VOUÉES À DISPARAÎTRE DE L’ESPACE PUBLIC

Ils n’en sont pas moins stricts sur l’application des règles vestimentaires. Maryam, 17 ans, raconte sa première sortie dans les rues de ce nouveau Kaboul avec une camarade de classe. Une expérience traumatisante pour l’adolescente : « Mon amie portait un jean sous son abaya. Ses cheveux étaient bien couverts, mais, malgré ça, un taliban est venu vers nous et nous a crié dessus, en demandant pourquoi elle était habillée comme une Occidentale. » La jeune fille proteste, le ton monte. « Il lui a donné des coups de bâton sur le dos et sur les jambes, relate Maryam. On s’est enfuies en courant. » Terrifiées par cette violence, ni l’une ni l’autre ne portent plus ces pantalons si connotés lorsqu’elles sortent. Quantité négligeable, les femmes sont ainsi vouées à la disparition dans l’espace public, même si les talibans entretiennent une forme d’ambiguïté à leur propos, reflet des tensions qui existent en leur sein. Entre fondamentalistes ultra-radicaux et fondamentalistes à peine plus modérés, le degré d’effacement préconisé n’est pas le même. À Kaboul, au ministère de l’Information, un mollah interpelle une journaliste étrangère, accoutrée comme ils le préconisent. « Pourquoi êtes-vous vêtue de la sorte ? » demande-t-il, hilare. Réponse : « Un proverbe dit que « si tu es à Rome, fais comme les Romains » ! Comment souhaiteriez-vous que je sois habillée ? » Sous son turban, l’homme part d’un éclat de rire. « Cette robe noire et ce voile vous vont très bien, restez comme ça, c’est parfait ! » Un humour grinçant, empreint de second degré. Mais les membres de cette organisation religieuse, militaire et politique ne sont pas tous capables du même esprit. Dans une vidéo devenue virale, l’un d’eux explique ainsi face à la caméra l’importance de couvrir les femmes : « Quand vous achetez un melon, vous le choisissez intact ou ouvert ? Intact, évidemment ! Une femme sans hijab, c’est comme un melon ouvert. »

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