Islam et islamisme : la faute d’Eric Zemmour

De l’étude de la théologie, Eric Zemmour croit pouvoir déduire que tout « vrai musulman » est un islamiste qui s’assume ou qui s’ignore. Un déni de réalité, en même temps qu’une faute.

L’un des sujets sur lequel Eric Zemmour revient le plus souvent, et sur lequel il construit une partie de son succès, est l’islam. Depuis cinq ans au moins, il martèle l’idée qu’il n’y a pas de différence entre l’islam (religion) et l’islamisme (projet politique). Arguant que l’islam est un corpus de prescriptions auquel il faut se soumettre en privé mais aussi dans la sphère publique, l’essayiste conclut que ce monothéisme ne saurait engendrer de modus vivendi laïque. En théorie, le polémiste accepte parfois d’envisager un jour un « islam français » ; en pratique, il maintient que tout « vrai musulman » est un islamiste qui s’assume ou qui s’ignore.

Précisons ici une chose : l’étude des spécificités des différents monothéismes et les conséquences culturelles ou politiques qui en découlent ne sont pas des sujets tabous. La critique des religions, les débats théologiques peuvent éclairer la conversation publique – en cela, les travaux d’intellectuels comme Pierre Manent ou Rémi Brague sont d’un intérêt précieux. Mais le passage au discours politique nécessite autre chose que des déductions granitiques dictées par une pensée « totale » qui ne supporte pas l’amendement des faits. Car dans les faits, il existe un islam séculier en France. C’est celui vécu ou pratiqué par les Français musulmans séculiers. Ils se rencontrent au quotidien, et singulièrement dans les couches sociales favorisées que fréquentent Eric Zemmour et son entourage. « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit », écrivait Charles Péguy dans Notre Jeunesse. La phrase célèbre a été maintes fois citée, ces dernières années, pour pourfendre l’angélisme qui règne, parfois, dans le récit médiatique. Mais cette fois, le déni est bel et bien chez Zemmour.

C’est le principe des esprits comme le sien : partir de l’axiome pour déduire le tout. Puis s’enferrer. Ne pas douter. Assumer l’insulte, la cruauté, la blessure. Eric Zemmour n’imagine pas de fermeté possible en dehors de sa martialité binaire. Il pose en « de Gaulle 1940 », mais son erreur est indéfendable : traiter en ennemis non pas une nation ou une armée belligérantes, mais des citoyens français, du fait de leur religion. En prétendant qu’il ne saurait exister de différence entre islam et islamisme, Zemmour exclut de facto du champ républicain tous les Français musulmans, puisque l’islamisme, qui entend faire appliquer sa loi et ses prescriptions dans la sphère commune, est incompatible avec la République. C’est une faute, en même temps qu’un abandon en rase campagne de ceux déjà soumis à un contrôle social intimidant, sous prétexte qu’ils seraient des traîtres à leur religion. 

« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère »

La bataille culturelle, la bataille de normes qui traverse l’islam aujourd’hui est un enjeu politique majeur pour notre nation et l’avancée de l’islamisme ces dernières décennies est effrayante. Les musulmans laïques le savent bien, même s’ils sont, par nature, plus silencieux que les bigots, les caïds, et les intolérants auxquels on ne cesse de céder du terrain et des territoires, et auxquels l’extrême gauche offre une protection idéologique coupable en hurlant au racisme dès que l’on tente de contrer leur offensive. Mais enfin, si beaucoup de « séculiers » se taisent, d’autres offrent aujourd’hui dans le débat public certaines figures contemporaines de la République. « C’est une minorité, rétorquent Zemmour et son entourage. Et on ne fait pas une politique en prenant en compte les minorités. » On comprend ici que le polémiste soit dans ses écrits souvent méprisant à l’égard de Voltaire, lequel écrivait qu' »il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ». Zemmour est comme le loup de La Fontaine, qui croque l’agneau en lui reprochant un forfait qu’il n’a pas commis : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. » Car pour lui, l’affaire est entendue : « 99% des musulmans rejettent » le fait de faire de la religion quelque chose de privé, écrit-il en préface d’Un quinquennat pour rien (2016). On se demande d’où il tire son estimation, visiblement pas sérieuse pour un sou…

Mais la justice n’est pas son affaire, à Zemmour. La justesse n’est pas son fort non plus. Pour pourfendre l’irénisme lénifiant des « mous » qu’il exècre, il assume les amalgames, dussent-ils heurter, effrayer, exclure certains qui ne sont pour rien dans la montée de l’islam radical, et qui luttent même parfois courageusement contre. 

Par Anne Rosencher

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