L’éducation positive : une méthode bienveillante pour les enfants, moins pour les parents
Envisagée comme un contre-pied séduisant aux méthodes autoritaristes voire comme une solution-miracle pour apaiser les relations familiales, l’éducation positive peut aussi s’avérer aliénante et culpabilisante pour les parents qui n’arrivent pas toujours à en suivre les préceptes.
« Pour qu’elle s’endorme, je lui dis que je comprends ses émotions, j’essaye de lui faire réaliser l’importance d’aller dormir. Mais à force d’insister, d’insister, j’en viens à lui dire ‘stop’, que ce n’est pas elle qui décide, que c’est comme ça. »
Elsa a 40 ans. Maman d’une petite Alma en plein « terrible two », elle fait partie de ces parents qui, à la naissance de leur enfant, ont investi avec enthousiasme le champ de l’éducation dite positive (ou bienveillante), persuadés que cette méthode éducative développée dans les années 2000 résoudrait toutes les crises qu’ils pourraient rencontrer sur le chemin de la parentalité.
LA CLÉ POUR UNE VIE DE FAMILLE APAISÉE ?
Il faut dire que les titres des ouvrages qui caracolent en tête des rayons de la section « Sciences de l’éducation » font de l’œil à tout parent déjà confronté à la colère de leur marmot dans le train ou au supermarché. « Cool Parents Make Happy Kids », « Vivre heureux avec son enfant », « Au cœur des émotions de l’enfant », « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent »… Autant de best-sellers qui promettent aux parents bienveillants la clé pour une vie de famille apaisée, mais aussi l’épanouissement maximal de leur enfant. Car après tout, quel parent ne souhaite pas que son enfant soit le plus heureux au monde ?
Mais pour Elsa, appliquer au quotidien les principes de l’éducation positive vire parfois au casse-tête. « J’avoue que ça n’est pas évident, j’aimerais que la méthode bienveillante soit toujours possible à mettre en pratique, que les enfants écoutent tout, confesse la jeune maman. Mais parfois ça ne fonctionne pas, parfois tu fourches et tu râles. »
Et elle n’est pas la seule. Sur les forums en ligne, nombreux sont les parents qui racontent avoir été séduits par les préceptes de l’éducation positive et qui peinent pourtant à les appliquer au quotidien. Pour Béatrice Kammerer, journaliste spécialisée en éducation et parentalité et autrice de « L’éducation vraiment positive » (éd. Larousse), cette difficulté tient en partie au flou qui entoure la définition de l’éducation positive. À l’heure actuelle, la seule faisant autorité est celle du Conseil de l’Europe , que Béatrice Kammerer juge « pas très précise » et résume sous l’appellation de « parentalité idéale, qui vise l’intérêt supérieur de l’enfant et son épanouissement ». « L’éducation positive remet en question le principe selon lequel il existerait une autorité découlant d’une asymétrie entre parents et enfants », poursuit l’autrice, qui en résume les grands principes : la non-violence éducative, la suppression des récompenses et le rapport démocratique à l’enfant.
Autant d’ambitions qui, sur le papier, ont convaincu Elsa. Mais qui s’avèrent parfois bien difficiles à mettre en pratique. « J’essaye au maximum que les choses se passent bien, de mettre de l’eau dans mon vin, mais il m’arrive parfois de devenir malgré moi autoritaire, de crier. Alors que je me suis bien rendu compte que ça ne servait à rien », reconnaît Elsa.
ERREUR SUR LA MARCHANDISE
Chez Alex, 40 ans et mère de deux filles de 12 et 17 ans, les conseils issus de ces livres fonctionnaient plutôt bien dans les moments « hors tension », quand le climat familial était apaisé. « Mais quand j’étais épuisée et que l’une faisait une énième colère pour un truc futile, c’est dur de ne pas se mettre à crier que ça suffit, qu’on n’en peut plus. »
« Le souci des appellations d’éducation positive ou bienveillante, c’est qu’elles semblent sous-entendre qu’il y a une éducation négative et une éducation malveillante », souligne Aude Sécheret, co-autrice avec Vincent Joly de « Non coupables. Sortir des injonctions de la parentalité positive » (éd. Larousse). « Or, lorsque l’on cherche de l’aide dans des livres pour avoir une vie de famille plus apaisée, avec moins de conflits, c’est qu’on a à cœur d’élever son enfant dans le bonheur, et de l’aider à devenir un adulte heureux et solide ».
« LES PARENTS ONT L’IMPRESSION QU’ILS NE SONT PAS COMPÉTENTS ALORS QU’IL N’Y A JUSTE PAS DE RECETTE ÉDUCATIVE MIRACLE ! »
Pour Béatrice Kammerer, le souci est aussi que les parents se trompent sur la finalité de l’éducation positive . Ou plutôt, sont délibérément trompés par les livres qui y font référence. « Lorsque l’on dit aux parents »on va vous vendre la méthode miracle pour que vos enfants soient non seulement épanouis et intelligents, mais aussi qu’ils coopèrent et qu’il n’y ait plus de conflit », c’est un argument d’appel très fort. » Or, selon la spécialiste, ces méthodes n’ont en réalité pour but ni de faire obéir, ni de soumettre l’enfant à l’autorité parentale. « Il ne s’agit pas de rendre le quotidien des parents plus confortable, mais de les faire adhérer à un objectif social beaucoup plus grand, qui est l’intérêt supérieur de l’enfant. »
ON « N’ÉLÈVE PAS UN ENFANT COMME ON DÉBOUCHE UN ÉVIER »
L’autre écueil de l’éducation positive, c’est son dogmatisme, relève Béatrice Kammerer. Dans son livre, elle rappelle judicieusement qu’on « n’élève pas un enfant comme on débouche un évier ». « Dès lors que l’on commence à dire « ne dites plus non, mais stop », « ne dites plus ci », « faites cela », ça ne fonctionne pas très bien. Les parents ont l’impression qu’ils ne sont pas compétents alors qu’il n’y a juste pas de recette éducative miracle ! »
Elle regrette aussi que les livres faisant la promotion de ces méthodes éducatives sans violence se retranchent derrière l’argument des neurosciences pour les justifier. Mais, « quand on regarde vraiment ce qui y est dit, c’est souvent une vulgarisation orientée, de mauvaise qualité, qui renforce le dogmatisme car les choses y sont expliquées de manière extrêmement péremptoire ».
De son côté, Aude Sécheret pointe la distorsion du langage des parents cherchant à appliquer au quotidien les principes de l’éducation non-violente. « Avec les enfants, tous les petits gestes du quotidien peuvent être sources de tension : les repas, le bain, le brossage des dents, les devoirs… Si on aborde toutes ces situations-là, qui sont innombrables dans une journée de parent, en réfléchissant par avance à tout ce que l’on dit (ce qui amène le parent à quasiment parler un autre langage que le sien), elles deviennent ingérables, la parent finit épuisé, et l’enfant peut risquer de sentir son parent insincère et de se braquer encore davantage. »
« ON RESTE SUR L’IDÉE D’UN IDÉAL QUI EXISTE RAREMENT DANS LA VIE DE TOUS LES JOURS »
C’est ce que vit Elsa. Elle qui souhaite, en toutes circonstances, pouvoir se targuer d’être une « maman bienveillante », se retrouve régulièrement confrontée à des phases d’opposition qui la poussent dans ses derniers retranchements. « Après je me sens coupable, frustrée, j’ai l’impression d’être nulle, lâche-t-elle. Que, si c’est écrit, cela veut dire qu’il y a des gens chez qui ça fonctionne, alors que pour moi non. »
« Parfois, j’ai l’impression que ce sont des illustrations de parents parfaits qui apparaissent dans ces livres, relève avec lucidité Alex. On reste sur l’idée d’un idéal qui existe rarement dans la vie de tous les jours. » Béatrice Kammerer acquiesce. « Il ne faut pas oublier que l’éducation positive, c’est tendre vers un idéal. C’est très bien de se donner des idéaux, on ne peut pas élever des enfants si on n’en a pas ! Mais un idéal, par définition, ça ne s’atteint pas. On peut tendre vers l’éducation positive et non-violente, mais on ne peut pas l’atteindre en toutes circonstances. Et ça, les auteurs d’éducation bienveillante ne le disent jamais aux parents. On en arrive alors à un paradoxe, qui est que l’éducation positive défend la bienveillance pour les enfants, mais pas tant que ça, voire pas du tout pour les parents. »
Sollicités en permanence mais ayant toujours le sentiment d’en faire trop peu ou de mal faire, les parents s’épuisent et peuvent alors être menés au burn-out parental. Un mal qui toucherait 5 à 8 % des familles, selon la professeure en psychologie Moïra Mikolajczak. Pour Aude Sécheret, ce « mal du siècle » est symptomatique d’une société qui fait peser beaucoup trop de choses sur les épaules des parents. « On les rend implicitement et parfois explicitement responsables du bonheur présent et à venir de leur enfant en sous-entendant en permanence que cela ne dépend que de la manière dont ils les élèvent et dont ils s’adressent à eux. Il faut aussi qu’ils leur fassent faire du sport, qu’ils les mettent au contact de la nature, les aident à l’école… alors que tous les parents n’ont pas forcément les moyens concrets de faire tout cela. »
« LA PARENTALITÉ, C’EST DU BRICOLAGE »
Comment faire, alors, quand on souhaite élever ses enfants du mieux possible et dans la bienveillance, sans pour autant s’oublier et s’épuiser ? La première étape est sans de faire le deuil de l’idée que l’on peut être un parent parfait, à l’image de ceux des ouvrages d’éducation positive, pour devenir ce que Béatrice Kammerer appelle un « parent-chercheur ». « La parentalité c’est du bricolage. On a le droit de se tromper, de tâtonner, de recommencer. J’aime l’idée que l’on puisse rester critique vis-à-vis de ce que l’on essaye . Ça permet aux parents de se remettre en question, de leur donner confiance, de les autoriser à faire des erreurs », souligne l’autrice, qui rappelle aussi qu’on ne joue pas sa relation avec son enfant à chaque mot ou attitude. « Ce n’est pas parce qu’on a crié une fois ou qu’on n’a pas été le parent que l’on a toujours voulu être, que tout est fichu, loin de là. Au contraire, c’est peut-être aussi une manière de montrer à son enfant comment on répare quand on ne s’est pas comporté comme on le voudrait, comment on dépasse ses difficultés.
Il ne faut pas non plus hésiter à contester la parole de celles et ceux qui s’érigent en experts de la parentalité bienveillante et admettre que telle astuce fonctionne chez les autres, mais pas pour son enfant ou pour soi. « Il n’y a pas de réponse unique, la réponse se trouve dans l’ajustement quotidien, et c’est à chaque famille de la construire. »
Source : ELLE