Ce mystère des lingots d’or venus de Russie qui agite la Suisse

En mai, trois tonnes d’or venant de Russie ont été importées en Suisse, qui compte de nombreuses raffineries, pour fondre des lingots.

L’or russe est de nouveau en Suisse, pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine. En mai, trois tonnes d’or venant de Russie ont été importées dans le pays alpin, qui compte de nombreuses raffineries, pour fondre des lingots, a révélé mardi 21 juin l’agence de presse financière américaine Bloomberg.

Ces trois tonnes d’or, d’une valeur de 194 millions de francs suisses (191 millions d’euros), sont arrivées en Suisse en provenance du Royaume-Uni mais leur « indication d’origine mentionne la Russie », indique ce vendredi 24 juin dans un communiqué l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF). « L’OFDF examine les importations concernées au regard des sanctions en vigueur », précisent les douanes, insistant cependant sur le fait que « pour des raisons légales, aucune information sur les importateurs d’or ne peut être fournie ». Le mystère reste donc pour l’instant entier quant au nom de l’importateur.

Les douanes suisses sont en train d’examiner les récentes importations d’or russe en Suisse à la lumière des sanctions économiques dirigées contre Moscou depuis le début de sa guerre contre l’Ukraine, annoncent-elles ce vendredi. L’exportation d’or vers la Russie est interdite par le régime de sanctions en place. Mais l’importation d’or provenant de Russie vers la Suisse n’est en revanche « pas interdite par l’ordonnance instituant des mesures liées à la situation en Ukraine », expliquent les douanes dans le communiqué. Depuis le 7 mars 2022, les lingots fabriqués par des raffineries russes ne peuvent en revanche plus être négociés en Suisse. « Toutefois, les lingots fabriqués par des raffineries russes avant le 7 mars peuvent en principe continuer à l’être », ajoutent-elles.

Le marché de l’or constitue un lien commercial fort entre la Suisse et la Russie, souligne l’hebdomadaire alémanique WOZ, qui écrit, comme l’a repéré le média suisse 20 Minutes, que « ces deux dernières années, l’or a représenté plus de 80% de toutes les marchandises russes importées ». Par ailleurs, les raffineries d’or suisses représentent entre 65 à 70% de la production annuelle des raffineries d’or dans le monde.

« L’or douteux n’a pas sa place en Suisse »

Jeudi 23 juin, l’Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux (ASFCMP) a précisé avoir été en contact avec ses membres et a assuré « qu’aucun d’entre eux n’est à l’origine de ces importations ». Cette fédération, qui regroupe les 14 principales entreprises suisses spécialisées dans la transformation et le commerce des métaux précieux, a cependant appelé ses membres à la vigilance, leur recommandant d’agir « avec la plus grande précaution » et à s’abstenir « en cas de doute ». « L’or douteux n’a pas sa place en Suisse », a-t-elle martelé dans un communiqué. Ses 14 membres représentent à eux seuls 90% de l’or fondu en Suisse.

Comme le précise le média suisse Le Matin, dans ce pays, les grandes raffineries sont toutes sous l’autorité de la London Bullion Market Association, une association qui interdit l’achat d’or russe depuis le début de la guerre. Quatre d’entre elles traitent ensemble les deux tiers de l’or mondial : la raffinerie MKS, basée à Genève, Metalor Technologies, qui siège à Neuchâtel, Argor-Heraeus, basée à Mendrisio et Valcambi, qui siège à Balerna.

Selon la Radio Télévision Suisse (RTS), l’or arrivé en Suisse était déjà raffiné à plus de 99,5%. Il est du coup possible qu’il provienne directement des coffres de la Banque centrale russe, qui se trouve donc sous le coup des sanctions adoptées par l’UE et la Suisse. « Il y a un risque que cet or participe directement ou indirectement au financement de la guerre en Ukraine », s’alarme dans La Matinale de RTS Marc Ummel, responsable pour les matières premières au sein de Swissaid, une ONG qui mène depuis des années des recherches sur le marché de l’or en Suisse. Il ajoute : « Si c’est la Banque centrale, il y a une violation claire des sanctions. »

Des regards (aussi) tournés vers les Emirats arabes unis

Selon ce spécialiste, l’or pourrait également servir à un oligarque pour du blanchiment d’argent. « On demande que la lumière soit faite sur cette affaire », lance-t-il. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), c’est-à-dire le centre de compétence de la Confédération suisse pour toutes les questions de politique économique, n’a cependant pas ouvert d’enquête par manque d’indices. Une erreur, selon Marc Ummel : « Quand une fonderie ou une raffinerie ne respecte pas les recommandations de l’administration fédérale, il y a assez d’indices pour enquêter. »

Sa collègue Thäis In der Smitten, responsable médias de Swissaid, pointe de son côté le rôle des Emirats arabes unis. Son ONG avait déjà tiré la sonnette d’alarme mi-mai, en annonçant qu’une importante augmentation des importations d’or en provenance des Émirats arabes unis avait été constatée. Cet Etat est « connu pour être une plaque tournante de l’or malpropre ou de l’or dont l’origine est problématique », affirme-t-elle auprès de la RTS. « On sait qu’à d’autres occasions, le Venezuela et la Libye ont également utilisé Dubaï pour faire transiter de l’or afin de contourner les sanctions. Cela nous amène à la conclusion que la Russie utilise le même mécanisme », déclare-t-elle. Elle poursuit : « Les experts s’accordent à dire que la Chine, l’Inde et les Emirats arabes unis sont des destinations très probables pour les exportations d’or de la Russie en raison des sanctions actuellement en vigueur. »

SOURCE : L’Express

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